automne2011

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mardi 1 septembre 2009

fidélité-infidélité

Raisons de l'adultère masculin selon Hegel
« Koupidin aloxos » - pour que cette femme ne soit pas épuisée par de fréquentes couches - des esclaves. - L'inégalité en général de la durée du désir et le pouvoir de l'homme face aux charmes, à la fécondité et à la santé de la femme, c'est là, lorsqu'est en jeu la sainteté du mariage chez les Européens, une disproportion qui maintient toujours au sein d'un peuple un combat sourd, une discorde intérieure et le mal de la débauche.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Notes et fragments, 94, 1803-1806

Adultères multiples et immaturité selon Gérard Leleu
C'est souvent par immaturité qu'on court de bras en bras. Car en réalité, c'est une mère ou un père qu'on cherche.
Il est vrai que l'état amoureux permet à chacun de rejouer les enfants. Les premiers temps de la rencontre constituent une forme de régression infantile, l'amour naissant faisant réémerger notre enfant intérieur. Et chacun de redevenir qui une petite fille, qui un petit garçon. Pour le meilleur et pour le pire.
Le meilleur, c'est le bon côté de l'enfant. Il nous incite à déposer armes et armures et nous invite à nous offrir à l'amour ou à révéler notre attente, confiant, vulnérable. Il nous permet aussi de redevenir naïf, joueur, créatif, câlin. Et, par le jeu et la tendresse, d'accéder à la fusion. Ce bon côté, on peut l'accueillir avec humilité, c'est le meilleur de l'amour.
Mais on se méfiera du pire, du mauvais côté de l'enfance que la régression a exhibé aussi. Ce sale gosse est tyrannique, et d'autant plus qu'il fut blessé. Il exige qu'on l'accepte inconditionnellement, qu'on réponde immédiatement et totalement à toutes ses attentes, qu'on se consacre entièrement à sa blessure. Il exige enfin qu'on soit semblable à lui, qu'on adopte ses goûts, ses habitudes, ses croyances. Tout cela, il l'exige de façon expresse, voire avec rage ou même violence. De vorace, il peut se faire terroriste. Pour être au service de cet enfant et conforme à ce qu'il veut, le partenaire doit renoncer à ses propres besoins.
Tant qu'il est dans l'état amoureux, le partenaire se voue à cet enfant dont le bon côté est attachant. Mais un jour arrive la phase de crise. Le partenaire le plus mature sort le premier de la confusion (illusions, projections, idéalisation) de l'état amoureux, s'autonomise et prend un peu de recul. L'autre, le plus immature, panique, croit à la trahison et à l'abandon. Le premier, que la crise a encore plus mûri, lucide, voit devant lui un enfant éperdu au lieu de l'adulte qu'il attendait. Comme il l'aime malgré tout, il reste avec lui. Mais c'est l'enfant terrible qui rompra, pour repartir à la recherche d'une autre mère de substitution. A moins qu'il ne s'évade épisodiquement pour se faire materner de ci, de là.
Les immatures sont fondamentalement instables et leur parcours affectif est chaotique. Ils accumulent ruptures et divorces et collectionnent les infidélités. Ils s'emballent et s'engagent prestement mais déchantent aussi vite. Ils continueront à se rendre malheureux et à semer le malheur tant qu'ils n'auront pas conscience que l'être absolu (telle une mère, un père) dont ils rêvent, n'existe pas. Que c'est à eux de mûrir et de trouver en eux l'absolu. Ils pourront enfin passer de l'état amoureux à l'amour véritable.
Gérard Leleu, La fidélité et le couple, 1999

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Pas de trahison sans séquelles, selon Marzano
Même sans prétendre, comme le fait Rousseau, que l'amour est la clef unique de la singularité de l'individu et que la trahison impliquerait donc une mise en question de cette singularité, il nous paraît important de prendre en compte la détresse de celui/celle qui découvre la trahison de son amant. Proscrire la jalousie au nom de la liberté amoureuse, c'est oublier le désespoir de ceux qui, face à la tromperie, assistent impuissants au déchirement du lieu d'accueil de soi et de l'autre qu'ils étaient en train de construire.
Si l'idéal du grand amour éternel est une fiction romantique, l'idée d'une trahison sans séquelles reste chimérique : "Elle a pour elle les apparences du réalisme, elle tient compte de la durée de la vie humaine, de la mobilité du désir, de la division intérieure. Reste que l'adultère tire à conséquence, bien plus que Russell ne veut l'admettre" (Claude Habib, Le consentement amoureux, Paris, Hachette Littérature, 1998, p. 265). La difficulté centrale de toute morale de la liberté réside dans le fait que l'on ne peut être libre qu'en étant responsable et que, à partir du moment où l'on agit librement, on doit aussi être en mesure de payer pour les risques que l'on prend.
Michela Marzano, La fidélité ou l'amour à vif, 2005

la fidélité comme non-conformisme, selon de Rougemont
En renonçant d'emblée à toute apologie rationaliste ou hédoniste, il ne parle que d'une fidélité observée en vertu de l'absurde, parce qu'on s'y est engagé, simplement, et que c'est un fait absolu, sur quoi se fonde la personne des époux.
Il faut bien voir que cette fidélité est à contre-courant des valeurs aujourd'hui vénérées par presque tous. Elle représente le plus profond non-conformisme. Elle nie la croyance commune en la valeur révélatrice du spontané et de la multiplicité des expériences. Elle nie que l'être aimé doive réunir, pour être ou pour rester aimable, le plus grand nombre de qualités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c'est avant tout l'obéissance à une Vérité que l'on croit, et en second lieu la volonté de faire une oeuvre. Car la fidélité n'est pas du tout une espèce de conservatisme. Elle est plutôt une construction. « Absurde » au moins autant que la passion, elle se distingue de la passion par un refus constant de subir ses rêves, par un besoin constant d'agir pour l'être aimé, par une constante prise sur le réel, qu'elle cherche à dominer, non pas à fuir.
Denis de Rougemont, L'amour et l'Occident, 1938

Adultère, liberté et souffrance, selon Naouri
Que recouvre le concept d'adultère ? Peut-on en effet encore en faire usage quand chacun, au nom d'une liberté qui lui est reconnue et dont il est férocement jaloux, revendique - et se voit reconnaître - le droit de suivre son caprice sans avoir à en rendre compte à quiconque ? On sait les dispositions prises par exemple, à cet égard, par le couple morganatique formé par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir : ils s'étaient engagés non seulement à tolérer leurs infidélités respectives, mais à se les raconter par le menu. Qu'ils n'aient, de fait, pas tenu leur engagement n'a été su que fort tard, après que la publicité donnée à leur comportement a fait quantité de naïfs adeptes, lesquels en ont parfois payé les conséquences d'un prix exorbitant : une infidélité ou une rupture produit d'intolérables douleurs quand ce n'est pas de profonds, voire très profonds, dégâts.
Aldo Naouri, Adultères, 2006

Etre fidèle, affaire de mémoire, selon Comte-Sponville
La fidélité est l'amour maintenu de ce qui a eu lieu, amour de l'amour, en l'occurrence, amour présent (et volontaire, et volontairement entretenu) de l'amour passé. Fidélité c'est amour fidèle, et fidèle d'abord à l'amour.
Comment te jurerais-je de t'aimer toujours ou de n'aimer personne d'autre ? Qui peut jurer de ses sentiments ? Et à quoi bon, quand il n'y a plus d'amour, en maintenir la fiction, les charges ou les exigences ? Mais ce n'est pas une raison pour renier ou désavouer ce qui fut. Qu'avons-nous besoin, pour aimer le présent, de trahir le passé ? Je te jure, non de t'aimer toujours, mais de rester fidèle toujours à cet amour que nous vivons.
L'amour infidèle, ce n'est pas l'amour libre : c'est l'amour oublieux, l'amour renégat, l'amour qui oublie ou déteste ce qu'il a aimé et qui dès lors s'oublie ou se déteste lui-même. Mais est-ce encore de l'amour ?
Aime-moi tant que tu le désires, mon amour ; mais ne nous oublie pas.
André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, 1995

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