automne2011

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lundi 26 avril 2010

Turner et ses peintres : au Grand Palais jusqu'au 24 mai

Dans la série, « je ne veux pas rater l'expo du moment », vous avez jusqu'au 24 mai pour aller admirer l'oeuvre du paysagiste anglais Turner au Grand Palais. L'exposition mérite son succès et l'éloge médiatique qui en est fait. On découvre des peintures méconnues (portraits, scènes de genre...) de Turner exposées à côté de tableaux de grands maîtres qui l'ont inspiré. En résumé, c'est plus qu'une simple rétrospective du peintre britannique, vous pouvez aussi admirerde magnifiques Rembrandt, Poussin ou Le Lorrain par exemple.
"Avant Turner, il n'y avait pas de brouillard à Londres", disait Oscar Wilde. Mais si vous vous attendez à voir des paysages vaporeux ou évanescents envahis par la brume dorée, ou à une lumière saturée, bref aux tableaux qui ont fait la renommée du peintre anglais, vous allez être déçus. Il y en a juste une petite dizaine, à la fin de l'expo, certains inachevés. En revanche, si vous voulez comprendre le parcours de Joseph Mallord William Turner et suivre, pas à pas, la construction son oeuvre jusqu'à ce qu'il devienne un des plus singulier des peintres du XIXe siècle, ne ratez pas l’exposition «  Turner et ses peintres  ». C'est ce sujet que l'exposition retrace et illustre.
Cette exposition réunit, souvent pour la première fois, les œuvres de Turner mais aussi celles de ses prédécesseurs auxquels il s’est souvent mesuré pour mieux s’en inspirer : Canaletto, Le Lorrain, Rembrandt, Rubens.. La rétrospective établit également des ponts avec les œuvres de ses contemporains tel Bonington ou Constable. Vous serez étonnés par son approche étonnante. Il observe leur travail, entame un dialogue pictural, se nourrit de leurs idées.. et il copie tout ce qui lui tombe sous les yeux. Turner était un peintre qui s'est beaucoup construit par inspiration ou par opposition à ses prédécesseur ou contemporains. Chacun de ses tableaux semble être sa réponse à celui d'un autre peintre.. Il m'a semblé découvrir un peintre ambitieux qui ne voulait pas se laisser dépasser, perpétuellement en quêtes de nouvelles influences. Anciens ou contemporains, aucun n'y échappe.
S’inscrivant dans un premier temps avec fidélité dans la lignée de la jeune tradition des aquarellistes anglais, Turner s’est intéressé par la suite à la peinture en s’inspirant méticuleusement de l’exemple des paysagistes hollandais, à l’instar de Rembrant, avec un usage chromatique plutôt sombre et limité.
Le modèle stimulant et déjà classique de son prédécesseur Richard Wilson l’incite vers le tournant du siècle à peindre des paysages classicisants de plus grande ampleur et aux teintes plus vives. Il se consacre avec sérieux à l’étude des grands paysagistes renommés en Italie au XVIIe siècle : Salvator Rosa (1615-1673) et Nicolas Poussin (1596-1665). Ne se contentant pas de s’inspirer et de copier la technique et le style de ces grands noms de la peinture, Turner propose un souffle nouveau qui bouleverse les codes en vigueur et détourne avec talent et originalité leurs compositions en inaugurant presque la tradition du paysage fantastique britannique avec Le Déluge (1805, Tate) grandement inspiré de la toile éponyme de Nicolas Poussin (1664, Louvre).
L’exposition présente à titre comparatif quelques tentatives dans le domaine de la peinture historique (Sainte famille de 1803, collection de la Reine, ou Vénus et Adonis vers 1805, collection privée), toiles qui s’inspirent d’un chromatisme plus varié et plus soutenu, initié par l’étude de Titien (vers 1490-1576) (La Vierge au lapin vers 1530, Louvre) et de Claude.
Ses petites peintures de figures rivalisent à la fois avec des maîtres méconnus à l’époque tels Watteau (1684-1721) (Ce que vous voudrez !, 1822, Williamstown, Clark Institute) ou ses rivaux les plus célèbres tels David Wilkie (1785-1841).
Le dialogue avec les paysagistes de la génération suivante, Bonington (1802-1828) (Scène de la côte française avec des pêcheurs de 1826, tate) et Constable (1776-1837) (L’inauguration du pont de Waterloo, 1829, Tate) vont exalter encore la liberté de touche et de ton de Turner (La plage de Calais, 1830, Bury Art Gallery ou Le Bateau échoué vers 1828, Tate).

Après 1820, et la visite de Venise et de ses chefs-d’œuvre (Venise vue du porche de la Madone de la Salute, 1835, New York, Metropolitan Museum) et l’étude assidue et complète de Claude Lorrain, les compositions de Turner évoluent vers une grande subtilité chromatique et une maîtrise des compositions à plans multiples et fluides (Palestrina Composition, 1828, Tate).
L’exposition permet, tel que Turner, lui-même, en avait manifesté le désir, de mettre en confrontation l’un de ses plus complexes chefs d’œuvre, Le Déclin de l’empire carthaginois (1817, Tate) avec deux des visions de Claude Lorrain qui ont été une source d’inspiration : Le Port de mer au soleil couchant (Louvre, 1639) et Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse (Louvre). C’est par la confrontation voulue et exigente et sans arrêt recherchée avec ses peintres de prédilection que Turner a construit son autonomie artistique, sa liberté de peindre portée à son apogée dans sa dernière décennie d’activité (Tempête de neige, bateau à vapeur au large d’un port, 1842, Londres, Tate).
En mettant en parallèle les toiles du Britannique et celles des grands artistes qui l’ont inspiré, la collection nous offre un meilleur éclairage de la technique de Turner, précurseur incontesté du courant impressionnisme et surnommé le « Peintre de la Lumière ». Petit à petit, la confrontation avec les maîtres qui le fascinent finit par devenir ré-interprétation et re-création. Les tableaux revisités vont bien plus loin et finissent par transgresser les règles.

Quel démon le pousse à ce duel permanent ? Freud pourrait sûrement nous l’expliquer. Sa mère meurt dans un asile après avoir sombré dans la folie. Son père, un modeste barbier, est et sera son unique ami jusqu’à sa mort. Peu sociable, d’aspect négligé et aux manières frustres, comme le décrit Delacroix, Turner est ambitieux et se bat pour être reconnu par ses pairs. Il se met en compétition avec ses maîtres, se confronte à eux dans le seul but de les égaler ou de les dépasser. Il devient membre de la Royal Academy de Londres à 24 ans. Il renonce à une vie de famille pour se dédier à son art et à trente ans, il se soucie déjà de sa postérité.
Copieur ? Arriviste ? Opportuniste ? En quête de reconnaissance ? Quand on arrive dans les dernières salles, on oublie toutes les questions. Émus par "Tempête de neige" cette merveille qui nous prend aux tripes, bouche bée devant les toiles qu’il a peint comme s'il avait le soleil dans les yeux, troublé devant ses dernières toiles, là on se dit que c’est le peintre audace de la lumière, le génie visionnaire qui a mis le feu aux formes et à l'art ancien, celui qui a eu le premier une vision fantastique du réel, le précurseur de l'Impressionnisme. Turner est le peintre qui a force de se mesurer avec les autres a fini par se dépasser pour nous faire frissonner de plaisir. À voir absolument !
Turner et ses peintres : Au Grand Palais jusqu'au 24 mai 2010.
Ouverture : Du vendredi au lundi de 9 h 00 à 22 h 00, le mardi de 9 h 00 à 14 h 00, le mercredi de 10 h 00 à 22 h 00, le jeudi de 10 h 00 à 20 h 00 Fermé le 1er mai.
Prix d'entrée : Plein tarif : 11 € - Tarif réduit : 8 €

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