automne2011

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samedi 1 août 2009

amour et société

La société de consommation en amour, selon Djénati
La baisse du désir sexuel, perçue comme le signe irrémédiable d'une incompatibilité, et la peur de s'enfermer dans un couple ennuyeux, amènent le ou les partenaires à abandonner le navire et à rechercher au plus vite un autre "objet de satisfaction".
La société du "tout est possible" dans laquelle nous vivons favorise ce comportement du "satisfait ou remboursé" appliqué aussi bien aux objets de consommation qu'aux objets affectifs.
La satisfaction absolue "clés en main", affichée dans tous les médias et la publicité, a fini par légitimer le droit à une complétude permanente et sans effort, qui réduit le consommateur à une sorte de "prédateur passif". Il n'accède plus à la question de son désir propre, le manque ne trouvant pas d'espace où s'exprimer.
Si le plaisir à être soi est totalement dépendant de la proposition de l'autre, si le désir propre est aboli et la quête qui mène à sa réalisation difficile, on comprend que la durée de vie des couples mariés ou non se réduise comme une peau de chagrin.
Dans la balance, "être aimé" pèse plus qu' "aimer", puisque c'est le bien-être personnel qui est visé dans la recherche d'un partenaire. Le déséquilibre de la demande amène à chercher ailleurs celui ou celle qui sera totalement comblant(e), "comme dans la pub" !
Geneviève Djénati, Le prince charmant et le héros, 2004

Logique de consommation affective, selon Pasini
La logique actuelle est celle de la consommation, et, bien souvent, les rapports entre jeunes partenaires s'essoufflent une fois que la première impulsion est passée. Cette logique de consommation affective place la sexualité au premier plan, et surtout la sexualité pulsionnelle, plutôt que relationnelle. Or en réalité, c'est la sexualité relationnelle (c'est-à-dire celle qui accorde de l'importance à l'autre) qui fait durer un rapport, y compris sur le plan sexuel.
Willy Pasini, Le couple amoureux, 2004

L'amour ne justifie pas tout, selon Alberoni
Dans le domaine de l'érotisme et de l'amour, le monde ancien avait des règles morales rigides. Il prohibait l'inceste, fixait des obligations conjugales, condamnait l'adultère, la rupture de la promesse de mariage, et décrétait l'obligation d'épouser la jeune fille enceinte. Ces règles ont vieilli et, de jour en jour, elles perdent de leur importance. Les relations érotiques et amoureuses sont de plus en plus laissées à la libre expression individuelle, à la préférence et au plaisir. Nous l'observons chez les adolescents. Si un garçon s'engoue d'une fille plus jolie, laisser la précédente ne lui pose aucun problème. Si une fille rencontre un garçon qui lui plaît davantage que celui qu'elle fréquentait, elle le lui fait savoir. Et si celui-ci continue à l'aimer, s'il souffre, s'il se suicide ? Ce sont ses problèmes. Dans le domaine de l'amour, le sujet ne se sent pas responsable de ce que sent ou fait l'autre.
Ce type de comportements caractéristiques de l'adolescence est en train de s'étendre à la vie adulte. La morale défendue à la télévision par les feuilletons affirme clairement que la seule force capable de tenir un mariage uni est l'amour. L'amour justifie tout. La morale nouvelle a un seul commandement : « va où ton coeur te porte ». Si quelqu'un n'aime plus, s'il est pris de colère et de haine, il part sans se retourner pour observer la douleur et la dévastation qu'il laisse derrière lui. Le résultat est que, dans la vie réelle, le monde de l'amour et de l'érotisme est de plus en plus dominé par la logique de la préférence et de la loi du plus fort.
Evidemment, il n'y a aucun contrat, aucune loi morale qui puisse nous imposer d'aimer quelqu'un que nous n'aimons pas. Mais il ne s'ensuit pas automatiquement que nous ne sommes pas responsables des conséquences de nos actes. Cela reviendrait à violer les principes moraux fondamentaux de notre civilisation : le commandement biblique de ne pas faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'on vous fasse, l'enseignement de Kant d'agir selon la maxime que nous voudrions voir appliquée par tous et l'éthique de la responsabilité de Max Weber. Nous sommes toujours responsables du mal que nous causons aux autres et nous devons essayer de le réduire au minimum. S'il est vrai que nous ne pouvons nous forcer à aimer celui que nous n'aimons pas, il est tout aussi vrai que nous pouvons agir avec prudence, le traiter aimablement, l'aider dans le besoin et respecter sa dignité et sa valeur.
Nombre de gens soutiennent que l'amour ne se commande pas. Cela dépend du type d'amour. Beaucoup de prétendus grands amours ne sont que des engouements, des caprices, des toquades passagères. Même le véritable énamourement commence toujours par des explorations et, pour se développer, il a besoin de notre assentiment, de notre complicité. Que dire encore de la fausseté, de l'égoïsme et des méchancetés faites au nom de l'amour ? Quand l'amour est de la partie, devons-nous justifier toutes les turpitudes ? Un grand nombre de gens estiment aujourd'hui qu'aller où les porte leur coeur est toujours juste et légitime. Et ils s'indignent en entendant parler de responsabilité.
Francesco Alberoni, Je t'aime, 1996
Amour, désir, liberté et morale, selon Guigot
On dit les amants libres puisque l'amour va jusqu'à se nourrir d'une certaine désobéissance. C'est ainsi que les amoureux, sans le vouloir, mettent toujours l'ordre social en danger. C'est ce désordre potentiel qui est mal perçu, dans les entreprises, à l'école ou dans les familles. Aimer passionnément, c'est faire passer l'autre avant les intérêts du collectif. C'est aussi désobéir à la morale sociale qui protège le fonctionnement habituel de ce qui est "normal". Or cette morale sociale suppose davantage d'hétéronomie que d'autonomie. L'amoureux passionné n'est pas pour autant vraiment autonome, et sa liberté réside davantage dans l'absence d'entrave à ses désirs que dans une conduite authentique de lui-même. L'amoureux n'est donc pas si libre qu'il le croit, même lorsqu'il pense s'affranchir de la morale ; tout simplement parce que la vraie morale rend libre. Non pas la morale impliquant l'hétéronomie mais la morale supossant l'autonomie du sujet. De la même façon que Rousseau a pu dire qu' "être libre, c'est ne dépendre que des lois", nous pouvons penser qu'être moral, c'est être capable de s'imposer à soi-même ses propres principes et de les appliquer. Le passionné est davantage gouverné par ses désirs que par la loi morale. En s'affranchissant de toute morale, il ne se libère pas vraiment. Il obéit seulement à d'autres lois que la loi morale.
André Guigot, Petite philosophie de la passion amoureuse, 2004

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