automne2011

automne2011

dimanche 8 février 2009

L’allégorie du pélican comme illustration mansonnienne de l’amour

Connu de la littérature païenne, le concept d’agapè reçoit une promotion soudaine quand certains auteurs du Nouveau Testament l’adoptent et le rendent synonyme d’amour chrétien. Dans ce contexte, agapè signifie soit l’amour condescendant et gratifiant de Dieu pour les hommes, soit l’amour inconditionné, le dévouement absolu que les chrétiens doivent avoir pour autrui, quel qu’il soit (fils d’un même Père, tous les hommes sont frères : le prochain n’est pas seulement le proche, c’est aussi bien le passant, l’inconnu, l’étranger, l’esclave, l’ennemi, sans aucune « acception des personnes »). Les textes majeurs qui célèbrent l’agapè chrétienne sont l’hymne à l’amour de la première lettre de Paul aux Corinthiens (XIII) et la première Épître dite de Jean. Des repas pris en commun, distincts de la célébration de l’Eucharistie, comptent parmi les manifestations de cet amour: ce sont les agapes. L’agapè se trouve donc sur la croix, lieu du message d’amour et du sacrifice. C’est le symbole de l’amour suprême que l’on peut qualifier de divin. Cet amour divin est stylisé par la Rose qui nous indique sa nature hermétique ou herméneutique, quêteuse de sens. L’agapè est un amour spontané et gratuit, qui n’a pas besoin de justification. Tout être dans ses faiblesses est digne de l’amour des hommes. Et cet amour crée la valeur de celui qui le reçoit.

Une légende datant du Moyen-Age représente le pélican se perçant le flanc afin de nourrir ses petits. Cette symbolique nourrit par un bestiaire qui préfigure l’Albatros baudelairien et le Cygne mallarméen et autre Condor a été reprise par Alfred de Musset dans La Nuit de Mai et n'est pas sans rappeler la vision mansonienne de l’amour décrit dans l’album EAT ME DRINK ME. La souffrance et le sacrifice du songwriter ressemblent à s'y méprendre à celle du pélican : quels que soient les détails descriptifs de l'alimentation familiale, c'est son symbolisme sentimental qui l'emporte sur la véracité des actions. Dans la tonalité pathétique, affectionnée des Romantiques, l'animal suscite en effet avant tout les sentiments de don de soi, « de tendresse et d'horreur », le macabre n'étant racheté que par le divin envol. Si bien que la vision d'un être « se frappant le cœur avec un cri sauvage » ne peut être celle de l'oiseau (l'action est irréaliste), mais bien celle du poète lui-même. Musset a d’ailleurs écrit : « Frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie » ou encore :
« Poète, c'est ainsi que font les grands poètes (...) /Leurs déclamations sont comme des épées : /
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant; /Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang. »
Cela est une nouvelle illustration de la thèse de la souffrance sanglante à la base de la création artistique que reprend Marilyn Manson dans son album EAT ME DRINK ME. L’Agapè c’est-à-dire l’amour qui tend à l’offrande de soi, qui fait abstraction de l’amour de soi au service de celui qu’on aime est au centre de cette conception. Ce qui n'exclut ni la gravité ni la douleur, tant il est vrai dans la chanson le verbe fait chair.
On peut entendre une partie de la vie personnelle, intime de MM sur le disque EAT ME DRINK ME : son chagrin d'amour, mais aussi le fait qu’il est de nouveau amoureux. On peut entendre le feu le consumer mais aussi voir qu’il se relève de ce brasier. Les premières paroles sur le disque disent : "6 A.M. Christmas morning...". C'est parce qu’il a écrit cette chanson (« If I Was Your Vampire »), le matin de Noël 2007 lorsque Dita est partie cette nuit-là. Le titre « Eat Me, Drink Me » fait, du reste, référence à « Alice Aux Pays Des Merveilles », mais aussi au mythe chrétien et à ses origines, ainsi qu'aux bases du mythe vampirique avec également l'idée que la façon la plus romantique de s'offrir à quelqu'un est se faire dévorer par celui ou celle-ci. Le Christ est dévoré, symboliquement, dans la religion chrétienne. Il s’est lui-même créé à partir de ce symbole. Ce disque le représente donc sous forme humaine, dévoré par son autre moi plus sombre et plus concret, mais aussi plus romantique. Vouloir mourir pour quelqu'un ou mourir avec quelqu'un est la seule façon d'être romantique, selon lui.

Aucun commentaire: